La perversion narcissique est-elle une maladie masculine?

La Perversion narcissique – Étude sociologique est le fruit de six années d’enquête de la part de Marc Joly. Son nouveau livre s’inscrit dans la continuité de ses précédents travaux qui relevaient de l’histoire et de l’épistémologie de la sociologie (Norbert Elias, Pierre Bourdieu) et de l’investigation de ses rapports avec d’autres disciplines (philosophie, biologie et psychologie).

Le cadre théorique à l’origine de cette démarche empirique s’articule donc de façon cohérente avec ses recherches passées. Joly revendique ainsi une triple dette à l’égard de Norbert Elias, Pierre Bourdieu et du «féminisme matérialiste» (Christine Delphy, Colette Guillaumin, Monique Wittig). De même, il n’envisage pas le rapport de la sociologie à la psychologie en termes d’opposition mais s’efforce de les mobiliser de manière complémentaire.

Notion galvaudée ou signal d’alerte?

Le terme de «pervers narcissique» est régulièrement employé dans les médias ou dans le langage courant. Si, dans le premier cas, le terme est en vogue, dans le second, il est utilisé avec une certaine prudence par le public ordinaire, comme le relève Marc Joly. En effet, cette catégorie est issue du domaine scientifique et «exerce un puissant effet de révélation». Elle joue le rôle de «diagnostic» afin de comprendre une situation ou une relation chez celles et ceux qui l’emploient. Cependant, son usage peut aussi dériver vers le registre de l’insulte.

À l’origine, le concept a été développé par Paul-Claude Racamier (1924-1996), psychiatre et psychanalyste français. La notion recouvre une psychopathologie fondée sur le déni, en particulier d’un deuil, et l’évitement de conflits internes via le recours à la manipulation d’un tiers, considéré comme un objet. Chez Racamier, cette conceptualisation prend forme alors que sa carrière de théoricien et praticien est déjà bien engagée.

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Toutefois, le terme de «pervers narcissique» est surtout associé à sa popularisation par sa consœur Marie-France Hirigoyen (née en 1949), autrice du Harcèlement moral, un essai paru en 1998, suivi de Malaise dans le travail (2001), un ouvrage centré sur la sphère professionnelle. L’agresseur, coupable de harcèlement, est assimilé au pervers narcissique. L’écho reçu par ses deux livres conduit à une évolution rapide de la législation qui s’ouvre à la reconnaissance des violences morales, au travail comme au sein du couple.

Un fait social révélateur d’une évolution des normes

Tout comme Émile Durkheim s’était intéressé au suicide –un acte éminemment individuel à première vue– pour en dégager les déterminants sociaux, Marc Joly envisage la perversion narcissique comme un fait social lorsqu’elle caractérise des hommes au sein d’un couple hétérosexuel. Le vocable est utilisé comme le révélateur de violences envers les femmes, suffisamment récurrentes pour générer, là aussi, des régularités sociales observables. En effet, au cœur de la thèse du sociologue se retrouve l’idée que la perversion narcissique est la réaction de certains hommes à la nouvelle norme qui prévaut pour les rapports de couple: celle d’une symétrie relationnelle où les besoins et les envies de chacune et chacun sont égaux et se négocient par l’échange entre deux partenaires.

La hiérarchie ou la domination de l’un sur l’autre –historiquement de l’homme sur la femme– n’est désormais plus envisageable, ce que n’arrivent pas intégrer certains hommes, restés sur le précédent modèle relationnel. Leur réaction peut être qualifiée de perverse car, ayant néanmoins compris que la violence physique ou symbolique n’est plus admise à l’égard de leur conjointe, ils s’évertuent à retourner les nouvelles normes en vigueur contre leur partenaire. L’exemple le plus frappant étant, lors d’une séparation, les conflits autour des enfants où un père, n’ayant jamais assumé son rôle pendant la vie de couple, se présente soudainement aux juges ou experts psychologiques comme très soucieux du bien-être de sa descendance, dans le but d’atteindre son ancienne compagne en lui contestant la garde.

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Pour Marc Joly, il faut se garder d’associer ces comportements à une violence masculine classique ou traditionnelle, c’est-à-dire fondée sur une domination patriarcale précédemment acceptée socialement et codifiée juridiquement. Au contraire, cette forme de violence renouvelée –le sociologue parle d’un «régime de terreur maritale»– prend acte de la nouvelle norme pour mieux s’en prendre aux femmes, à travers des comportements difficilement détectables pour les professionnels en charge de gérer ces conflits (assistantes sociales, médecins et psychologues, avocats et juges). Ainsi, la violence symbolique, et avant cela physique, est remplacée dans ce nouveau cadre par une violence morale –même si les violences physiques et sexuelles subsistent encore dans certains cas. La perversion narcissique se présente alors comme une «sociopathologie» d’hommes cherchant à s’approprier illégitimement des femmes.

Le terme de «perversion narcissique» a donc été repris par des femmes afin d’alerter publiquement sur cet état des choses ainsi que sa récurrence, permettant de dépasser des situations vécues comme individuelles. «Autrement dit, écrit Marc Joly, pervers narcissique a fonctionné socialement comme une sorte de nom de code pour folie destructrice socialement genrée (masculine), avec, autour, tout un halo de masculinité toxique.» En retour, les controverses sur sa banalisation, son caractère galvaudé, doivent aussi se lire comme une contre-réaction à cette prise de conscience féminine et à la nouvelle place qui leur est échue dans la société.

Une démonstration exhaustive

Marc Joly se penche ainsi longuement sur la genèse de cette notion, en revenant sur le parcours de son inventeur et son insertion au sein du milieu scientifique et intellectuel de son époque, ainsi que sur sa réception médiatique et militante. Son enquête s’appuie également sur une immersion au sein d’une association d’aide aux victimes de violences morales intrafamiliales (questionnaire auprès des adhérents accompagnés, entretiens avec des personnels et des victimes, observations). Elle se termine sur le «cas Maria Costa», un exposé autour d’une victime rencontrée par Marc Joly, qui témoigne de manière forte, en tant que situation exemplaire, des procédés mis en œuvre au sein d’un couple par un pervers narcissique.

Le sociologue livre une démonstration remarquable, à la fois dense et quasi exhaustive, dont il faut souligner la richesse des analyses. Si l’ampleur de son travail –qui approche les 600 pages– peut susciter l’appréhension des lecteurs et lectrices, sa profondeur offre une opportunité précieuse de mieux saisir les ressorts de ces dynamiques encore trop souvent à l’œuvre du fait de leur invisibilité.

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